Soixante-dix-huitième Évêque
Henri Feydeau de Brou, évêque d’Amiens, était fils d'Henri Feydeau, seigneur de Brou, conseiller au parlement, et de Marie Roillé, sœur de Jean Roillé, comte de Melany, conseiller d’État, et de N. Rovillé du Coudray, maître des requêtes, autrefois intendant en Picardie.
La famille des Feydeau est d’une noblesse originaire de la Marche.
Henri Feydeau de Brou naquit à Paris le 18 juin 1643. Il fut baptisé dans l’église de Saint-Médéric. Nicolas l’Avocat, Maître des Comptes, fut son parrain, et Anne Charpentier, veuve de Charles Feydeau, aussi Maître des Comptes, fut sa marraine.
Il fit ses humanités et sa philosophie au collège du Plessis, et après avoir achevé ses études et sa licence, il prit le bonnet de docteur en théologie de la faculté de Paris, le î août 1678.
Dès l’année précédente, il avait succédé, dans la charge d’aumônier du Roi, à Charles le Goulx de la Berchère, alors évêque de Lavaur et ensuite archevêque de Narbonne. En 1675, il avait assisté, comme député du second ordre de la province de Bourges, à l’assem¬blée générale du clergé, tenue à Saint-Germain-en-Laye.
En 1685, il prêcha l’Avent devant le Roi. Après son premier sermon, Louis XIV lui disant qu’il l’avait entendu avec un vrai plaisir, et lui demandant s’il pourrait continuer le reste de l’Avent avec la même force, il répondit qu’il l’espérait. Le succès répondit à cette espérance: le Roi et toute la cour parurent pleinement satisfaits.
Le jour de la Pentecôte, 18 mai 1687, le Roi étant à Verdun, le nomma à l’évêché d’Amiens, vacant par le décès de François Faure, mort subitement à Paris,
La France était alors en mésintelligence avec Rome, par suite de ce qui s’était passé dans l’assemblée du clergé de 1682. M, Feydeau de Brou ne put obtenir ses bulles. Le chapitre le choisit pour grand-vicaire pendant toute la vacance du siège, et il en exerça les fonctions jusqu’en 1692.
Pendant son séjour à Amiens, en qualité de vicaire-général, il reçut, le 6 janvier 1689, Jacques II, Roi de la Grande-Bretagne, chassé de ses États par ses sujets rebelles. Il avait été, le premier jour du même mois, rendre ses devoirs à la Reine, son épouse, et au jeune prince de Galles, qui avaient passé à Abbeville, en quittant l’Angleterre.
Dans la même année, il prononça l’oraison funèbre de Marie-Louise d’Orléans, Reine d'Espagne, au service solennel que le Roi fit faire pour elle à Notre-Dame de Paris. Au mois de mai 1690, il
….
…. P 74 une méthode qui apprit à bien faire le catéchisme, et veilla à ce qu’on examinât fréquemment sur ce point au séminaire.
Il avait établi quatre retraites chaque année au séminaire, pour donner à un plus grand nombre de pasteurs la facilité de vaquer à ces saints exercices.
. Il maintint et étendit à tout le diocèse l’usage des conférences ecclésiastiques ; souvent il les présidait lui-même dans les moindres villages (1).
Pour contribuer encore davantage à répandre le goût de la science ecclésiastique dans le clergé, il avait formé un projet qu’il n’a été donné qu’à ses successeurs de réaliser. Il voulait publier un recueil d’instructions sur le Rituel, une suite d’explications sur les Évangiles et les Epîtres des dimanches de l’année, et un cours élémentaire de théologie.
Quant à l’instruction des fidèles, il y pourvut par les écoles, les catéchismes établis partout, les bons livres et les missions.
Plus de sept cents écoles existaient dans les campagnes ; il veilla à ce que les instituteurs fussent capables et édifiants. Il établit pour eux des examens sévères : il ne leur accordait l’autorisation d’ensei-gner qu’à condition de la faire renouveler chaque année au synode, s’il y avait lieu.
On imprima par ses ordres des alphabets français, contenant les prières communes des chrétiens et les éléments du catéchisme. Il voulait que le catéchisme fût le premier livre où les enfants apprissent à lire. Il fit composer, dans le même dessein, un abrégé de la vie de Jésus-Christ et un catéchisme historique. A l’époque de sa mort, il préparait un livre d’Heures contenant les principaux offices en latin et en français, et des instructions courtes sur la vie chrétienne. Il désirait publier aussi un recueil de cantiques spirituels, pieux et populaires, sur les principaux actes de religion, et sur les grandes vérités de la foi, pour compléter cet ensemble si propre à former des chrétiens fervents et instruits.
A cette époque, le clergé était animé d’un grand zèle pour l'instruction religieuse des fidèles de toutes les classes. Il le favorisa dans son diocèse, en provoquant partout l’établissement de catéchismes publics , où les adultes mêmes considéraient comme un honneur les interrogations qu’on leur faisait.
Les missions furent le moyen le plus puissant qu’il employa pour entretenir la connaissance et la pratique de la religion dans toutes les paroisses. Il en fit donner plusieurs chaque année, dans les campagnes et dans les villes. Il y employait plusieurs chanoines de sa cathédrale, les Jésuites, les Capucins, les Pères de l’Oratoire. Il établit au séminaire une fondation pour y entretenir à perpétuité cinq prêtres de la mission et un frère destinés à donner constamment des missions aux peuples de la campagne (1). »
Quelques jours après son installation, il commença, en novembre 1692, la visite des paroisses de la ville d'Amiens. Au mois de février de l’année suivante, 1693, il les fit à Abbeville dans l’église et du chapitre de Saint-Vulfran et dans toutes les paroisses. Au mois d’août, il les continua dans l’église collégiale et le chapitre de Saint-Florent de Roye, dans les paroisses de cette ville, dans celles de Montdidier et de Doullens. Il a continué successivement ses visites pastorales dans tous les lieux de son diocèse, chaque année, sans interruption, pendant toute la durée de son épiscopat.
Voici quelques détails intéressants sur sa manière de faire ces visites. Il y consacrait chaque année un temps considérable, et visitait ordinairement cent cinquante paroisses. Il les indiquait d’une manière générale au synode précédent, et envoyait ensuite à chaque curé des ordres plus précis sur ce qu’il y avait à faire.
Tel était l’ordre que le prélat s’était prescrit :
Il disait la messe, ou l’entendait régulièrement à huit heures : il mangeait un peu avant neuf heures et partait à dix. Pendant le reste de la journée, jusqu’à huit heures du soir, il voyageait ou donnait la confirmation dans les églises, parcourant trois paroisses par jour.
Après l'inspection du tabernacle, des vaisseaux sacrés, des fonts baptismaux, et pendant que son grand-vicaire, son promoteur ou son secrétaire, examinait l’état de l’église, les comptes de la fabrique, les papiers, les ornements, les linges, les réparations à faire à la maison presbytérale, les livres du curé, les personnes qui étaient en division par quelque querelle, ou celles auxquelles il fallait parler pour d’autres raisons, il montait en chaire et prononçait lui même le sermon sur l’Évangile du jour, ou sur quelque demande du catéchisme, selon les besoins de la paroisse. Il prêchait partout et à toutes les visites. Il faisait faire ensuite le catéchisme une heure entière en sa présence, d’abord par le maitre d’école, puis par le vicaire, quand il y eu avait un, et enfin par le curé (1). »
Le 15 mars 1693, il publia un mandement dans lequel, en rétablissant l’ancienne discipline de son diocèse, et ce qui avait été réglé dans le concile provincial de Reims, de 1564, il renouvela le décret qui ordonnait la stabilité des prêtres dans l’église à laquelle ils avaient été attachés par leur ordination.
Le 3 avril suivant, il fit un règlement pour les ecclésiastiques de son diocèse qui étudiaient à Paris.
Le 16 décembre de la même année, il fit commencer les retraites annuelles et gratuites au séminaire pour les curés et les vicaires. Il établit des prêtres auxiliaires pour desservir les cures dénuées de secours par la mort, les infirmités ou l’incapacité des curés, et il préleva une somme considérable de son revenu pour fournir à la dépense de ces bonnes œuvres.
Un religieux de l’abbaye de Sainte-Sauve de Montreuil, de l’ordre de saint Benoit, ayant été ordonné sans son dimissoire, le prélat déclara par sentence du Î8 décembre 1694, qu’il avait encouru les peines portées par les saints canons, entr’actes celles de l’interdit pendant quatre ans. Il rendit cette sentence publique, pour arrêter, par cet exemple d’une juste sévérité, ceux qui dans la suite pourraient tomber dans la même faute.
Le 10 juillet 1695, il fut, avec Bossuet, évêque de Meaux, et le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, un des évêques consécrateurs de Fénelon, archevêque de Cambrai. La cérémonie fut faite dans l’église de Saint-Cyr. Le 22 novembre 1699, il remplit les mêmes fonctions avec le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, et M. de Clermont, évêque de Langres, dans l’église des Feuillants, au sacre d’André-Hercule de Fleury, évêque de Fréjus, avec lequel il était lié par une ancienne amitié.
Il convoqua son synode général le 11 août et le tint le 9 octobre 1696. Il y publia les statuts synodaux qui ont été revus et publiés avec quelques modifications, au synode du 2 octobre 1697.
Le 18 décembre 1696, il donna 351 livres de rente pour aider à l’entretien d’un missionnaire qui, avec deux autres, déjà pourvus d’une rente suffisante, devait faire des missions dans le diocèse pendant toute l’année, excepté au temps de la moisson. Il a dans la suite annexé à cette fondation le prieuré de Mareuil, pour augmenter le nombre des missionnaires.
Le 29 avril 1697, il condamna un écrit contenant les propositions du Père Desimbrieux, jésuite, professeur en théologie au collège d’Amiens, comme contraires à la discipline de l’Église et à la juridiction des évêques. En condamnant l’erreur, il voulut ménager l’ordre auquel appartenait son auteur. Ses supérieurs avaient, dès le 4 août 1696, désavoué par écrit sa conduite et ses sentiments. Ils crurent devoir en témoigner leur reconnaissance au prélat, par leurs lettres des 2 avril et 12 mai 1697. Ils le remercient de ce qu’il s’est contenté de remédier au mal et de punir le coupable, sans faire tomber sur le corps innocent la faute du particulier. Le même Père, sans l’aveu de ses supérieurs dénonça l’année suivante, à la Congrégation du Saint-Office, la censure portée contre lui, quelques articles des statuts publiés en 1697, et le mandement pour la publication du jubilé de 1695, dans lequel le prélat déclare que les religieuses pourront se choisir un confesseur extraordinaire, parmi tous ceux qui sont approuvés de lui pour entendre leurs confessions. Sa dénonciation fut rejetée par ce tribunal qui rendit justice à M. Feydeau de Brou. Il est dit dans sa réponse que ce prélat a bien mérité de F Église, et jouit en France d'une grande réputation de doctrine et de piété.
Le 20 juillet de la même année 1697, il condamna encore un autre écrit qui a pour titre : Lettre à un curieux sur des tombeaux qu’a découverts dans l'église de Saint-Acheul. Il crut devoir soutenir, dans cette circonstance, la tradition de son Église sur les corps des saints qui y sont honorés, et réprimer la témérité de l’anonyme qui la combattait sans fondement. Deux ans après, l’auteur de cette lettre, pour attaquer la censure dirigée contre lui, ayant emprunté le nom du sieur Thiers dans un livre intitulé : Dissertation sur le lien où repose le corps de saint Firmin-le-Confesseur, troisième évêque d’Amiens, ce dernier ouvrage fut supprimé, et les exemplaires furent saisis, par arrêt du conseil d’État du 17 avril 1699.
Le 12 novembre suivant, M. Feydeau de Brou célébra la messe pour l’ouverture du Parlement à Paris. Après la cérémonie, il répondit, avec l’applaudissement de toutes les chambres, au remerciement que lui fit M. le premier président.
Le jour de Noël, il officia à Versailles devant le Roi. Il y renouvela la même cérémonie à la même fête, en 1704.
Le 29 novembre 1699, il fit un mandement pour la publication de la Constitution d’Innocent XII, portant condamnation et défense du livre de l'Explication des maximes des Saints sur la vie intérieure. Celte Constitution avait été reçue le 14 mai précédent, par l’assemblée provinciale de Reims; le prélat, qui se trouvait incommodé, n’avait pas pu y assister.
Il publia, dans le synode du 7 octobre 1699, le nouveau catéchisme composé par son ordre. Ce livre fut si bien goûté que l’évêque de Boulogne l’adopta, par son mandement du 3 mai 1709, pour être enseigné dans son diocèse.
Le 88 mai 1702, M. Feydeau de Brou, visitant la ville de Montreuil, y fil la translation dans une châsse nouvelle du corps de saint Sauve, évêque d’Amiens, qui était conservé dans l’église de' l’abbaye de ce nom.
En 1703, il assista comme député de la province de Reims, avec l’évêque de Senlis, à rassemblée générale du clergé à Paris ; il y rendit des services très importants à l'’Église et à l’État. Il s’y distingua par son application, sa capacité, sa pénétration et son éloquence. Il y fut chargé des affaires les plus considérables, et il les géra avec un succès applaudi de toute l’assemblée.
Le 19 octobre de la même année 1705, il fit un mandement pour publier, dans son diocèse, la constitution du pape Clément XI du 16 juillet, contre le Jansénisme, reçue dans l’assemblée générale do clergé.
« Au mois de mai 1706, ayant commencé la troisième visite pasto¬rale de celte année, il la continua par des chaleurs extraordinaires, parcourant trente-cinq paroisses en quatorze jours, sans rien re¬trancher des occupations ordinaires auxquels il se livrait (1). Il revint à Amiens le jeudi avant la Pentecôte, déjà indisposé; ce qui ne l’empêcha pas d’officier pontificalement à la cathédrale le jour de cette fête. Le mal s’aggrava aussitôt, et il mourut plein de mérites le 14 juin, Agé de cinquante-trois ans, universellement regretté.
M. de Langle, évêque de Boulogne, son ami, qui était venu le visiter dans sa maladie, célébra ses obsèques. M. l’abbé de l’Estocq, chanoine théologal, prononça son oraison funèbre.
Jamais évêque n’a été plus aimé de ses diocésains ; aucun n’a plus mérité de l’être. M. Feydeau de Brou était d’une taille médiocre, mais bien proportionnée. Il avait les manières nobles, les yeux vifs, le front serein, tous les traits du visage délicats. Son abord était des plus gracieux.
Il avait la parole ferme, le son de la voix vif et perçant, le geste simple, sans être languissant, l’expression naturelle quoique fine, la conception vive et juste.
Il charmait dans la conversation; il narrait avec beaucoup d’agrément. Ses reparties étaient promptes et toujours pleines d’esprit, sans recherche ni prétention
Il faisait toutes les cérémonies de ses fonctions sacrées avec beau-coup de facilité, et en même temps avec beaucoup de dignité et de décence.
Il était théologien instruit et très versé dans la science de l’Écriture, dont l’étude avait toujours fait sa principale occupation. Il connaissait l’histoire et était bon littérateur. Il possédait toutes les connaissances qui conviennent à un évêque, et son génie supérieur en faisait un excellent usage.
Jamais on ne vit ami ppls sincère, aussi ardent à faire le bien de ceux qu’il honorait de son amitié, que désintéressé en tout ce qui le concernait. Toujours disposé à obliger ceux qui avaient recours à lui, il ne refusait son secours et sa protection à aucun de ceux qu’il savait en avoir besoin. On pouvait dire de lui ce qu’on a dit d’un ancien Romain, que personne ne connut jamais mieux son pouvoir, qu’en se trouvant par son secours délivré de quelque danger, ou en obtenant quelque laveur ; tvjvs potentiam mm eensit, nisi nul levatione periculi, nul aeeemone dignitatù (1).
Son chapitre a été plus particulièrement l’objet de sa bienveillance. Il en était le père, le protecteur, et on peut ajouter le solliciteur de ses affaires. Souvent le chapitre apprenait les bienfaits que le prélat lui avait obtenus à la cour ou au conseil, avant qu’il eût le temps de lui demander sa protection pour les obtenir.
On l’a vu plusieurs fois conduire les députés du chapitre chez les juges saisis d’une affaire à laquelle ils étaient intéressés. Ces magistrats ne pouvaient s'empêcher de témoigner combien ils étaient surpris, et en même temps édifiés, de cette extrême bonté.
Lorsqu'il faisait du bien à quelqu'un, c'était d'une manière si obligeante et si gracieuse, qu’elle faisait oublier en quelque sorte le don qu'il faisait, en même temps qu'elle augmentait la reconnaissance de celui qui le recevait.
Il avait une attention particulière à porter les ecclésiastiques à la perfection de leur état. Il ne donnait des bénéfices, particulièrement dans son église cathédrale, qu'à ceux qui étaient nés dans le diocèse, pour que l'espoir de la récompense les y retint, et fût un motif qui les excitât à travailler sous ses yeux. On pouvait dire du temps de son épiscopat ce qu'on disait du temps d'Honorius :
... sub teste benigno
oititor; egregiot invitant premia mores (2).
Si quelque ecclésiastique de son clergé s'écartait de son devoir, il l'engageait à y rentrer avec tant de prudence et de ménagement, que le coupable ne se plaignait pas de langueur de la peine, convaincu de la justice de celui qui la décernait.
Solidement vertueux, et fortement pénétré des vérités de la reli-gion, il en pratiquait tous les devoirs avec exactitude, mais sans ostentation. Il faisait de fréquentes retraites au séminaire; on a pu conserver quelques résolutions qu’il y avait prises, elles témoignent du zèle avec lequel il travaillait à sa sanctification (1).
II était si occupé de ses devoirs que l’on conçoit difficilement comment, malgré la faiblesse de sa santé et la délicatesse de son tempérament, il a pu soutenir les fatigues auxquelles il s’est exposé sans interruption pour les remplir. Il écartait tout ce qu’il croyait pouvoir l’en détourner.
C’est dans cette vue qu’il a évité avec le plus grand soin les procès. Il comptait pour rien les avantages temporels qu’il pouvait en retirer, par cela seul qu’ils devaient lui faire perdre un temps précieux qu’il se croyait obligé d’employer plus utilement au soin de ses ouailles.
Sa résidence était presque continuelle. Lorsqu’il allait à Paris, tout le temps de son séjour était employé à rendre service à ses diocésains.
Naturellement modeste, il souffrait avec peine les louanges qu’on lui adressait, lors même qu’il les avait méritées. Il avait absolument défendu que les prédicateurs lui fissent tes compliments d’usage. Il ne les permettait pas davantage dans ses visites pastorales; il n’en voulait pas même quand son chapitre venait le saluer, au retour d’un voyage qu’il avait fait hors du diocèse. La joie qu’il voyait peinte sur le visage de ceux qui le saluaient lui suffisait ; il la considérait comme un témoignage plus sincère de l'affection de ses ouailles, que les discours les plus éloquents qu’on aurait pu lui adresser.
Les dépenses de sa maison étaient réglées arec ordre et économie. Selon la pensée de saint Jérôme, il n’était prodigue que dans ses aumônes, sold liberalitate eceeedêbmt modvm (1).
Il n’y avait pas de misères qui pussent échapper à la vigilante charité de ce saint évêque. Il savait les découvrir en quelque endroit de son diocèse qu’elles se tinssent cachées. Il soulageait les pauvres, et ménageait leur plus extrême susceptibilité, par la manière délicate avec laquelle il leur faisait parvenir ses dons.
« Tous les ans, au commencement de l’hiver, il faisait faire des habits et du linge pour trois ou quatre cents pauvres de la ville et des faubourgs, et pour tous ceux des terres de l’évêché, surtout de Pernois et de Montières. Ces deux dernières paroisses étaient pourvues, par ses soins, de maîtresses d’école qui instruisaient gratuitement les jeunes filles, soignaient les malades et leur fournissaient les remèdes et les aliments nécessaires."
L’Hôpital-général et l’Hôtel-Dieu d’Amiens avaient aussi parti ses libéralités annuelles, ainsi que la Miséricorde d’Abbeville, l’hôpital de Montdidier, l’hospice des Orphelins de Montreuil, et l’assemblée des Dames de la Charité, établie par ses prédécesseurs dans la ville épiscopale, pour visiter et soulager les pauvres et les malades .
Sa charité s’étendait à toutes les misères. Les incendiés, victimes d’un fléau si fréquent en Picardie, trouvaient toujours un secours auprès de lui.
Pendant ses visites pastorales, il laissait pour les pauvres de chaque paroisse, une aumône de dix à quarante livres, indépendam¬ment de ce qu’il donnait aux malades qu’il visitait tous, selon sa coutume invariable.
Ce n'était que par la plus stricte économie, et par l’éloignement de toute dépense superflue, qu'il pouvait suffire à tant d’aumônes ordinaires
Et aux dons particuliers qu’il fit souvent, soit à la maison des filles repenties, soit à plusieurs communautés pauvres, soit à diverses familles tombées dans la misère (I). »
On pourrait dire de lui ce que saint Jérôme disait de sainte Paule : il avait un saint empressement à connaître les pauvres qu’il pouvait secourir, et il considérait comme un bien perdu pour lui, le secours qui aurait été donne par un autre à un indigent abandonné : darnnum putabat, si quisquam debilis et esuriens cibo sustentabatur alieno .
Aussi les pauvres l’ont pleuré longtemps ; et leurs larmes, pour nous servir des paroles de saint Ambroise, lui ont procuré l’entrée de la gloire, en même temps qu’elles ont adouci dans le diocèse les regrets universels que sa mort y a excités : ista sunt lacrymœ redemptrices, illi gemitus qui dolorem mortis abscondunt
Son BlasonHENRY FEYDEAU DE BROU, né à Paris le 13 juin 1653, fils d’Henry Feydeau de Brou, conseiller au parlement, et de Marie Rouillé. Nommé par le roi, dont il était aumônier, à l’évêché d’Amiens, le 18 mai i687, il ne fut sacré que le 31 août 1692 et mourut le 14 juin 1706. Il fut enterré dans le sanctuaire de la cathédrale, au pied de l’autel, honneur qui n'avait été accordé à aucun évêque de ce siège avant lui. — Sa tombe fut transportée dans la chapelle de Saint-Jean-Baptiste où elle se trouve encore